Muselaar (virginal)

Virginal de type "muselaar" fabriqué par Alain Dieu en 2003 à Vaudrivilliers (France, Franche-Comté), d'après un instrument d'Andreas Rückers de 1620, qui se trouve au musée d'instruments de musique de Bruxelles et également inspiré d'un instrument voisin au "Musée des bouchers" à Anvers.

Vous vous demandez comment cet instrument est soudain arrivé à La Goulue ? Eh bien, il s’est trouvé fort opportunément à vendre, et la beauté de sa sonorité autant que de son aspect général m’ont fait craquer…
En fait, cet instrument est l’exacte réplique …d’un autre, qui est la propriété de la claveciniste, pianofortiste et clavicordiste lausannoise Jovanka Marville, enseignant ces instruments au Conservatoire de cette ville. Lors de sa commande, le facteur de clavecins, Alain Dieu, de Vaudrivilliers (France), s’est décidé à en construire deux simultanément. Ils sont d’exacts frères jumeaux. Par contre, si Jovanka Marville a pris possession de sa commande immédiatement, le second instrument se trouvait toujours sans acquéreur quelques années plus tard.

En ayant entendu parler, je l’ai acheté, après avoir pu essayer les 2 instruments et les avoir trouvé aussi magnifiques l’un que l’autre.

Description de l’instrument

L’original ayant servi de modèle à cet instrument est bien connu et est exposé dans le musée d’instruments de musique de Bruxelles; on en trouve même une représentation picturale dans un célèbre tableau de Vermeer: « La Leçon de musique », où l’on voit une jeune femme jouer de l’instrument debout, au fond d’une pièce allongée. Elle nous tourne le dos, mais nous reconnaissons aisément l’instrument et sa décoration.

Le virginal appartient à la famille des épinettes. Celui-ci est dit de type « muselaar »; il est de forme rectangulaire avec un clavier sur un des « grands » côtés de l’instrument, à droite pour les muselaars; cet instrument est d’assez grande taille pour une épinette: 170 X 50 cm, ce qui est très favorable pour l’ampleur et la richesse de sa sonorité, contrairement à des instruments à la table d’harmonie de moindre surface. Le clavier a une étendue de 4 octaves de do-do, la première octave étant une « octave courte », soit sans dièzes ni bémols (à l’exception du si bémol). Il n’actionne qu’un jeu de cordes. L’instrument est à un diapason de 415 hz et ne peut pas être transposé.

Il est posé sur un piètement sobre et robuste en bois naturel. Fermé, l’extérieur de la caisse apparaît d’une couleur verte très très sombre, avec quelques dessins de motifs très fins réalisés à la peinture d’or vers les angles. Le couvercle s’ouvre en position « basculée », retenu par une cordelette à un angle de l’instrument. Le rabat qui protège le clavier est fixé à l’instrument par des charnières, de sorte que lorsque l’on l’ouvre, on le bascule et il « pend » à la verticale de l’instrument. L’intérieur du rabat et du couvercle sont décorés de papiers flamands, typiques de cette époque, et sur la face intérieure du couvercle figure une inscription latine sur 2 lignes « Musica Laetitiae Comes, Medicina dolorum », ce qui signifie à peu près: « la musique est la servante du bonheur et un remède pour les souffrances ». Le pourtour de l’instrument et du clavier est tapissé de papiers flamands orné de motifs typiques de la dynastie Rückers, avec notamment des séries de 2 hippocampes se faisant face.
La table d’harmonie est peinte de fleurs, petits fruits et petits animaux (insectes, oiseaux) peints avec beaucoup de délicatesse et de réalisme, dans des teintes pastel. La réalisation de toute la décoration picturale de l’instrument est le fruit du travail d’un peintre de Delft, Cornelis Verboom (dont est également originaire le célèbre peintre Vermeer). Elle est d’une très grande qualité.

Quelques explications sur le virginal

La première mention d’un instrument intitulé « virginal » date déjà de la fin du XVe siècle. Il s’agit alors d’un instrument italien. L’origine du terme et son « étymologie » restent inconnues…
Il est parfois difficile, pour les premiers instruments de ce type, de les distinguer des autres instruments de la famille des épinettes. Il s’agit d’instruments de taille très modeste, de formes très variables, souvent polygonales. Ces petits instruments seront très prisés et fabriqués en nombre, vu le caractère pratique de leur taille modeste qui les rendent aisés à transporter et …pas trop onéreux. La particularité des premiers virginals, par rapport aux autres épinettes, est a priori difficile à définir. Les touches du clavier actionnent tantôt les sautereaux placés sous les cordes près du chevalet et tantôt près du sillet.

Les premiers virginals viennent donc d’Italie. Par contre, c’est au moment du début de la facture flamande, notamment à Anvers, qu’on voit apparaître des virginals flamands, dont les premiers modèles de type « muselaar ». Ceux-ci, outre leur plus grande taille et leur forme rectangulaire, sont caractérisés par leur sonorité très ronde et chaude, riche en harmoniques et assez puissante. Cela est dû au fait qu’on a placé les registres et les sautereaux de manière à ce qu’ils « jouent » les cordes assez près du milieu de celles-ci, ce qui rend la tâche des facteurs de ce type d’instruments redoutablement difficile. En effet, au milieu de la corde, l’amplitude de vibration de celle-ci est très grande, et les réglages de la mécanique sont difficiles à effectuer pour éviter que la vibration de la corde ne génère ni contacts indésirables avec la mécanique, ni « bruits de mécanique » trop sonores, tout en permettant de répéter …raisonnablement vite les notes. De fait, ce type d’instruments ne permet pas de jouer des pièces trop virtuoses ou trop ornées, surtout dans la partie grave de l’instrument. Mais il offre en contre-partie une sonorité vraiment particulière et très belle.

Les principaux facteurs de clavecins de l’école « flamande », sont certainement ceux de la célèbre dynastie des Rückers, qui couvrira la fin du XVIe siècle et les deux premiers tiers du XVIIe. Ceux-ci vont également se mettre à fabriquer des virginals. Ce type d’instrument sera très en vogue chez les clavecinistes et compositeurs anglais, qui ont écrit beaucoup de musique pour cet instrument, surtout à l’époque élizabéthaine, De là vient le fait qu’on a surnommé les compositeurs de cette époque les « virginalistes ». Mais il faut également savoir que rapidement, en Angleterre, on a élargi l’emploi du terme de « virginal » pour désigner tous les instruments de la famille des clavecins !

Et également, pour tuer un mythe: à cette époque, il n’existait pratiquement pas de facture de clavecins en Angleterre. Les Anglais, très friands de ces instruments, les importaient essentiellement des 2 régions où l’on en fabriquait à cette époque, soit de l’Italie et des Flandres.

Le virginal n’a pas été le seul apanage des Anglais. Très prisé également sur le continent, il était connu même dans la péninsule ibérique, et nombre d’oeuvres de compositeurs espagnols se jouent très agréablement sur ce type d’instrument, ainsi que des oeuvres de divers compositeurs de la Renaissance, notamment ceux du nord de l’Allemagne et de la Hollande, par exemple Sweelinck.